Les pensées improbables


LA PHILOSOPHIE DANS LA PISCINE (Les pensées improbables de Ray Banana)
Pour certains c'est dans le boudoir, pour d'autres dans la piscine

vendredi 23 septembre 2011

La philosophie dans les montagnes, suite

Nous en étions restés là:
Tout ceci nous éloigne bien de Ray Banana et de la philosophie... 



Pas du tout, disions-nous, et voici pourquoi:
Quand passa la mode des chapeaux en poil de castor (la mode, encore elle), et d'ailleurs il ne restait carrément plus un castor dans les montagnes, tellement ils avaient été efficaces, nombre de mountain men se tournèrent vers d'autres activités. Old Bill Williams, par exemple, rejoignit en 1840 une importante bande qui depuis quelques années se livrait au vol de chevaux à grande échelle en Californie, pour les revendre au Nouveau Mexique. Qui, comme la Californie, faisait encore partie du Mexique tout court à l'époque (Old Mexico, comme dirent ensuite les Américains pour le distinguer du nouveau). Cette bande, qu'on appelait les Chaguanosos, était dirigée par un autre trappeur, sans doute une vieille connaissance, un Canadien français nommé Jean-Baptiste Chalifoux (1791 ou 1792 - 1860) dit aussi Baptiste Brown, ce qui était plus simple.


Or ce même Chalifoux est un des trois personnages principaux de Rio de Las Animas, une histoire de Ray Banana, qui sera peut-être achevée et publiée un jour.

Ray le rencontre peu après le début du récit, et arpente en sa compagnie la vallée de la rivière en question. Chalifoux et lui échangent à loisir des considérations bien senties sur les mystères qui nous dépassent, qui sommes nous - où sommes nous - où allons nous et tout ça. Et comment se fait-il qu'ils puissent se côtoyer  et discuter ainsi alors que l'un a dû mourir une centaine d'années avant que naisse l'autre. Cette question là, notons le, trouvera sa réponse avant la fin du récit.
Voilà pour Ray Banana et la philosophie.

Il n'existe pas de photo de Jean-Baptiste Chalifoux, mais pour compenser en voici une de son ami Charles Autobees (1812-1882), lui aussi Canadien français d'origine (et né d'une mère indienne Delaware). Comme pour Chalifoux, son vrai nom, qui était plus probablement Hurtubise, voire Heurtebise, a  été transcrit phonétiquement de cinq ou six façons différentes par les Anglo-Saxons, pour nous rester sous celle-ci, Autobees.



Remarquons que Hurtubise, Heurtebise, cela nous ramène à Jean Cocteau - l'ange Heurtebise dans Orphée - et donc à une citation fameuse déjà croisée dans ces colonnes, et ces mystères qui nous dépassent.

jeudi 15 septembre 2011

Ed Ruscha, Williams, Arizona, et la philosophie dans les montagnes



Williams, Arizona, doit son nom à Old Bill Williams, né William Sherley Williams (1787-1849), trappeur, guide et mountain man. J'emploie volontairement le terme anglo-saxon mountain man, plutôt que le français montagnard, qui évoque plus un berger sur l'alpage ou un moniteur de ski qu'un type qui gagne sa vie à patauger dans l'eau jusqu'à mi-cuisses pour poser des pièges à castor. En français (et plus des trois quarts d'entre eux étaient d'origine française, on disait d'ailleurs voyageur, ou engagé, suivant leur statut social.
En plus de la ville, Williams a donné son nom à une rivière et une montagne, ce qui montre la considération dans laquelle le tiennent les habitants de l'Arizona. D'ailleurs la ville lui a élevé une statue, justement face à une station-service.


Le sculpteur l'a représenté portant la barbe, mais l'aquarelliste Alfred Jacob Miller, qui l'a dessiné de visu en 1837, le montre glabre, quoique mal rasé. Les mountain men, d'ailleurs, portaient très rarement la barbe, en partie pour éviter les poux. Et surtout parce qu'elle n'était pas du tout à la mode dans la première moitié du XIXème siècle. Et ils avaient beau passer une bonne partie de leur temps dans les montagnes ou en famille chez les indiens (glabres eux aussi), ce n'est pas pour autant que ces types là ignoraient les modes.



Quand à la station service auprès de sa statue, une Conoco, difficile de voir si elle a remplacé depuis la seconde station photographiée par Ruscha à Williams, une Mobilgas, ou si c'en est encore une autre. Auquel cas on pourra dire que Williams est une ville où on a vraiment le choix, pour faire le plein.



Tout ceci nous éloigne bien de Ray Banana et de la philosophie, dira-t-on.
Pas du tout, et voici pourquoi: quand passa la mode des chapeaux en poil de castor...
(A suivre)

lundi 5 septembre 2011

Sunset Tower, Edward Ruscha, et une histoire

Revenons un instant à Sunset Tower, cette "address of distinction" occupée par Ray Banana durant sa période classique. Ecoutons Ray:
"En déplacement à Bruxelles vers 1980, mon biographe, M. Benoit, acheta dans une librairie de la rue des Eperonniers, trois petits livres de Edward Ruscha, en se disant "Tiens, voilà de la bonne doc!"
 


Sur le premier, le mythique Every Building On The Sunset Strip, il put noter l'adresse exacte du Sunset Tower building, dont il avait déniché une autre photo dans une autre "doc".




Il ne repéra pas la station-service Standard qui lui fait presque face, dans cette photo de 1933, qu'elle ait été soit détruite soit transformée en 1966, quand Ruscha photographia tout le Strip.


Par contre il découvrit, dans le deuxième livre de l'artiste, Twenty Six Gasoline Stations (le troisième étant Some Los Angeles Apartments) une station-service Standard presque identique, située elle à Williams, Arizona.



Quand il dut peu de temps après illustrer une publicité pour les vols Air France vers Los Angeles, il pensa que cette station Standard conviendrait tout à fait à ce qu'il imaginait, une fois entourée de quelques éléments d'architecture vernaculaire qui lui semblaient typiquement "angeleno" et même "Sunset Strip", cette portion du boulevard qui lui paraissait, puisque c'est là que j'habitais, résumer l'esprit de la ville.
On retrouve donc dans son dessin plusieurs détails identifiables de la station de Williams photographiée par Ruscha en 1962.


Ceci étant, Williams, Arizona – 2266 habitants à l'époque – n'a pas grand chose à voir ni avec Los Angeles ni avec Metropolis.

Mais cela il ne l'apprendrait que plus tard. En 1997, en route pour le Grand Canyon, il passa une nuit à Williams, dans un motel nommé comme il convient le Canyon Motel. Au petit matin, avant le petit déjeuner, il décida d'aller faire le plein de sa voiture de location, car il prévoyait pour la journée une étape d'au moins 350 kilomètres, jusqu'à Kayenta. Et il se rendit précisément à la station-service Standard de Twenty Six Gasoline Stations, où dans les années 1990, on était passé au self-service. Là, il s'escrima pendant vingt secondes avec la pompe, qui refusait de lui délivrer la moindre goutte, avant d'être secouru par deux jeunes Navajos qui passaient par là, le genre cool et cheveux au milieu du dos. Ils lui expliquèrent qu'il fallait aller d'abord au bureau, payer d'avance ou juste passer sa Visa dans la raclette, un truc comme ça. La prédestination avait parlé. 

Williams, 21 août 1997


Mais de tout ceci il n'eut pas non plus conscience sur le moment. Il ne le sut que des années après, en feuilletant à nouveau le livre de Ed Ruscha, et quand lui revinrent les souvenirs du Canyon Motel, où la moquette bouclée était aussi épaisse qu'elle était ancienne et douteuse, au point qu'on hésitait un peu à s'y déplacer pieds nus.


Canyon Motel


Quant à la station-service, elle était restée gravée dans sa mémoire, rapport à la pompe et aux deux indiens."