Hier matin, je me suis débarrassé de trois Témoins de Jéhovah qui encombraient ma porte en leur disant que je n'avais pas le temps, que j'étais occupé à compter les neuf milliards de noms de Dieu. Ça leur en a bouché un coin.
- Les neuf milliards de noms de Dieu? Mais enfin, Ray, vous êtes athée!
- Et alors? Ça n'a rien à voir avec la religion*. Ça a à voir avec la philosophie, ou même la science.
Et quand vous aurez fini de les compter? m'a demandé un des trois, pas très averti du temps que ça pouvait prendre. Quand on a fini de les compter, l'univers disparaît, je leur ai répondu.
Un autre, à l'esprit un peu plus affûté, il faut le reconnaître – d'ailleurs il portait la moustache – a demandé si le chiffre, neuf milliards, était en rapport avec le chiffre prévu pour bientôt de la population terrestre. Pas du tout, j'ai dit, et je vous le confirme. Cette histoire circule depuis un temps où on était bien moins que ça.
Mais je ne suis pas mécontent d'avoir collé un doute dans leur esprit.
"The nine billion names of God" est une nouvelle de Arthur C. Clarke parue en 1953. Des moines tibétains, qui se sont donné pour tâche de trouver et écrire les neuf milliards de noms de Dieu, ont calculé que cela leur prendrait quinze mille ans. En conséquence il engagent deux informaticiens et leur ordinateur pour faire le travail. Craignant que les moines ne soient pas très contents s'ils découvrent, une fois celui-ci achevé, que l'univers était toujours là, les deux types programment la machine pour qu'elle termine quand ils seront sur le chemin du retour, franchissant l'Himalaya à dos de yack. A un moment ils s'arrêtent et regardent le ciel. Sans bruit, une à une, les étoiles commencent à s'éteindre.
* Là, Ray n'a sans doute pas tort. Ces moines tibétains étant logiquement bouddhistes, et le bouddhisme n'étant pas une religion, Dieu n'est sans doute ici qu'un euphémisme pour traduire un concept beaucoup plus complexe. (NdT)